Dans le chapitre précédent, ma mère venait de découvrir sa grossesse et maintenant me voici née et bambine de surcroît. 

Et me voici vivant et capable de marcher sur mes deux jambes, enfin sur dix centimètres. Ce qu'il s'est passé avant? Je ne saurait vous le dire, vu que je ne me souviens pas de cette période et que Kaon ne m'a pas laissée d'image. Du coup, je ne peux rien vous en dire si ce n'est ce que maman m'en a dit. La grossesse n'a été que bonheur. J'ai très vite fait mes nuits mais j'étais capricieuse. Il paraît que je pleurais dès qu'on me mettait dans les bras de mon père ou de personne extérieur à la famille. Je voulais toujours ma maman. 

Mon père ne supporte pas de voir un enfant pleurer et il ne s'est pas obstiné avec moi. Je ne lui en ai jamais voulu pour ça mais j'imagine que c'est ce qui a scindé la famille en deux. 

Et me voici: Midnight Snowball, courageuse et disciplinée dès mon plus jeune âge. Je suis née pour être samouraï. Malheureusement, ce genre de destin ne me sera sans doute pas proposé puisque je suis une fille et que je ne vis pas au Japon féodale, ni même à la bonne époque. 

J'aime ce chaton. Il arrive au moins à donner quelques traits de visage à ma chère sœur. Elle n'était vraiment pas une enfant ordinaire pour se faire détester de Foxy comme ça. J'aurais bien aimé la connaître enfant. Je suis sûre que j'aurais pu faire quelque chose, l'empêcher de se renfermer sur elle même. Mais je pense que c'est trop tard maintenant. Cette couche d'indifférence lui sert de bouclier contre l'extérieur et je fais parti de cet extérieur. 

Et puis, est venu le mariage de Maman et papa, en minuscule comité. Papa voulait que ce soit quelque chose de très privé. Je crois qu'il ne se faisait pas à l'idée du mariage mais qu'il n'osait pas l'avouer. Eris ne regardait pas nos parents. Elle fixait son amie venue à la maison à l'improviste. 

Je pense que ça lui demandait un trop gros effort de le voir, de voir papa et maman se marier. Elle n'avait jamais été pour. Maman et elle avaient toujours été en froid et c'était fait pour durer. J'imagine toujours pouvoir les aider mais.. ce n'est simplement pas possible. 

A l'échange des anneaux, Eris s'est carrément évanouie ou endormie d'ennui, je ne sais pas. Peut être était ce un choc pour elle, je ne sais pas. 

Pendant ce temps, j'étais toute sage dans ma chaise haute. Je ne comprenais sans doute même pas ce qu'il se passait mais bon, au moins, j'étais présente. 

Et puis, il faudra avouer qu'ils étaient beaux lorsqu'ils étaient jeunes, mes parents. 

Maman m'a toujours adorée, je crois. Dès que nous étions ensemble, elle était souriante, riante. C'est comme si rien ne pouvait plus nous arriver. C'est logique pour moi que maman m'adore mais papa et Eris voit toujours ça d'un mauvais oeil, parle de cet amour maternel comme quelque chose de glauque, de malsain. Comme s'ils n'arrivaient pas à comprendre qu'une mère puisse aimer son enfant plus que tout. 

Maman est la chose la plus précieuse que j'ai et je suis la chose la plus précieuse que maman ait. S'il y a bien une chose dont je sois certaine, c'est de cela. 

Emma: Regarde, chéri! Elle est venue dans mes bras du premier coup! 

Jaden: Il est plus de minuit, tu devrais la laisser se reposer, la pauvre. 

Emma: Tu n'es pas fatiguée, pas vrai, choupi? 

Midnight: Noon! 

Emma: Ah bah, tu vois. 

Mais maman n'était peut être pas très responsable, en revanche. C'est là un de ses plus gros défauts mais heureusement, elle veillait toujours à mon bien être. Jamais elle ne m'aurait laissé dormir par terre ou que sais-je encore. 

Je ne savais pas qu'Eris était une enfant troublée. Elle a toujours entendu Kaon mais je ne savais pas que c'était devenue une sorte de malédiction pour elle, ce pouvoir. Elle s'en plaint parfois mais jamais elle ne s'est montré si.. gênée de cela. Bien sûr entendre en permanence une voix dans notre tête, ça doit poser soucis, je la comprends.

Mais son absence totale de réactivité en dehors de ses quelques rares crises ne dérangeait visiblement pas que moi. Son pauvre ami imaginaire semblait lui même gênée de l'absence de réactivité de cette enfant. C'est presque d'un jour nouveau que je vois ma sœur. Peut être sur cette image est elle triste de cet embarra de celui qui devrait être à jamais son ami sans condition. 

Je n'étais pas une bambine facile pour ma mère. Je pleurais beaucoup et maman n'aimait pas m'entendre pleurer. Elle avait sans doute de la peine mais je n'ai jamais manqué d'attention de sa part. Quand je pleurais, ce n'était pas pour longtemps. 

Sans doute pour combler son manque de compassion de la part de son ami, Eris commença très vite à parler à un animal encore une fois imaginaire. "Superroquet", l'oiseau de la famille s'était enfuie quelques jours avant et Eris ne l'avait pour ainsi dire pas remarqué et continuer de lui porter attention. 

Cette phase qu'a subi ma sœur est troublante pour moi qui ne l'est que toujours vu fière, avec quelque chose de froid. Elle cherche toujours à cacher qui elle est. Que ce soit avec moi, maman ou même papa mais papa la comprend toujours, sait la réconforter lorsque ça ne va pas même lorsqu'elle se cache. 

Comme beaucoup avant elle, elle a aussi cherché à purger sa peine dans la cuisine. Je ne sais pas si ça l'aidé. Je sais que lorsque maman est en colère, elle pétrit de la pâte à pizza dans le sellier sous la maison. C'est en tout cas, ce qu'elle dit, je ne suis jamais descendue dans la cave. 

Papa a décidé d'adopter un enfant. Je crois que depuis Eris, il ne supporte plus de savoir des enfants dans le besoin. N'ayant pas le diplôme pour faire un métier dans l'éducation ou dans les services sociaux, il a décidé d'adopter un enfant de 8 ans, un enfant qui n'aurait jamais trouvé de foyer de toute façon. 

Et voici le petit Insomnie, même s'il déteste ce nom, c'est le nom qu'il possède à présent dans le foyer, en temps que fils d'Emma et Jaden. 

Papa a commencé à faire les portraits de la famille pour que nos visages restent dans les mémoires. Encore des toiles gâchées pour un travail qui ne rapportera de toute évidence rien. Maman veut que j'arrête d'être si dure avec papa, il fait ce qu'il peut, qu'il fait ce que Kaon attend de lui mais plus ça va et moins j'en suis sûre. 

Curieusement, cette image m'émeut chaque fois que je passe dessus parmi toutes celles que m'a donnée Kaon. Eris jouant seule, loin de la maison. Un regard vers Kaon et un sourire. Un sourire joyeux, loin de ses préoccupations habituelles. Je ne l'ai jamais vu sourire physiquement. 

Malgré le fait que papa ait une nouvelle fois tiré dans sa cagnotte secrète dont il ne lui restait rien pour moi pour faire la chambre d'Insomnie, le petit garçon s'est pris une soudaine affection pour moi et s'est mis à venir jouer souvent dans ma chambre avec mes jouets. 

D'aucuns diront que c'était parce que mes jouets étaient meilleurs que les siens mais je pense que c'est plus profond que ça. Nous avions un lien. Avant même que je ne comprenne qui il était ou que lui ne fasse à sa nouvelle famille, nous étions proche l'un de l'autre. Nous étions liés l'un à l'autre comme par destinée. 

Ce qui me pousse à dire cela n'est pas qu'il vienne dans ma chambre une fois ou deux. Non, c'est qu'il venait chaque jour après l'école dans ma chambre, jouer avec mes jouets. Lorsque papa ou maman l'y interdisaient, il ne les écoutait pas et revenait quand même. Assez étrange pour un enfant normal, non? 

Et puis est venu le temps de l'anniversaire d'Eris, non loin suivi du mien.. 

~Fin du chapitre 18~